35

Après avoir passé la soirée à la maison de sa grand-mère à faire ses devoirs, Chance Skeoh rentra chez elle. Elle s’assit devant le téléviseur avec sa mère et son frère, question de se détendre un peu avant d’aller se coucher. On sonna à la porte. Elle se dit que c’était probablement Frank ou Fred qui voulait lui emprunter ses notes de cours. Elle resta bouche bée en voyant son chevalier en chair et en os.

— Bonsoir, milady.

Elle lui sauta dans les bras, l’étreignit de toutes ses forces et l’embrassa passionnément.

— Mais que faites-vous ici ? s’exclama-t-elle.

— J’avais envie de vous revoir, alors je me suis arrêté chez vous avant de me porter au secours de mon roi.

Elle l’emmena au salon.

— Maman, Russell, je vous présente Galahad.

— Je suis ravi de vous rencontrer, les salua le chevalier.

— Vous êtes très différent de l’image que je m’étais faite de vous, monsieur Galahad, fit durement la mère. Russell, au lit, maintenant.

— Non ! se buta le gamin. Il ne vient jamais personne d’intéressant, ici !

— Dans ta chambre, tout de suite.

Russell dut céder devant le regard sévère de madame Skeoh. Il passa devant l’Américain en lui jetant un coup d’œil rempli de curiosité.

— J’aimerais que tu nous laisses seuls, Chance, exigea sa mère.

— Ce que tu as à dire à Galahad, tu peux le dire devant moi.

— Comme tu veux. Je trouve que vous avez beaucoup de culot de venir jusqu’ici. Il n’était donc pas suffisant que vous abusiez de l’innocence d’une enfant, il fallait en plus que vous la poursuiviez jusque chez elle ?

— J’ai presque dix-huit ans ! s’indigna Chance, insultée.

— Je suis seulement venu lui dire au revoir, affirma le chevalier en conservant son sang-froid. Je n’ai jamais eu l’intention de lui manquer de respect.

— Je vous prierais de quitter cette maison et de ne plus jamais y remettre les pieds.

— Mais il vient de si loin ! protesta Chance. On ne peut pas le renvoyer comme ça !

— Il n’est pas le bienvenu chez nous. C’est mon dernier mot.

L’adolescente savait qu’il était inutile de discuter avec sa mère lorsqu’elle était fâchée. Elle accompagna son chevalier à l’extérieur. Il résista et voulut expliquer ses intentions à sa mère afin d’éviter un malentendu. Chance lui recommanda d’attendre qu’elle se calme. Elle monta dans le camion avec lui.

— Vous ne lui aviez jamais mentionné mon âge, n’est-ce pas ?

— Non, mais ça ne change rien entre nous, assura-t-elle.

— C’est votre mère, milady. Vous ne devez pas lui faire de chagrin.

— Je n’ai pas envie de parler d’elle ce soir. Je veux plutôt entendre parler de vous.

Elle lui fit mettre le moteur en marche et le conduisit à la maison de sa grand-mère, quelques rues plus loin. Elle ouvrit la porte et le pria d’entrer. Stupéfait, il fit quelques pas dans la pièce décorée de façon médiévale.

— Je l’ai préparée pour nous, Galahad. Je savais que vous m’y rejoindriez un jour.

Elle le poussa jusqu’au grand lit, qui reposait au centre de la pièce, devant l’âtre de pierre des champs. Elle l’y fit tomber sur le dos, grimpa sur lui et l’embrassa en lui retirant ses vêtements. Elle savait que les règles du code l’empêcheraient de se dérober : elle était sa belle et il était son champion. Il ne vivait donc que pour la défendre et la chérir. Ils firent l’amour toute la nuit, comme deux êtres qui craignaient de ne plus jamais se revoir.

— Je vous aime, Galahad, chuchota-t-elle à son oreille, alors que les premières lueurs de l’aube s’infiltraient par la fenêtre.

— Je vous aime aussi, milady, peu importe ce qu’en pensent les autres.

— Restez ici avec moi.

— Cela devra attendre. Je dois rencontrer le magicien en Californie dans deux jours. Mais je reviendrai. Je vous en fais la promesse.

— Et vous passerez un peu de temps avec moi avant de retourner à Houston ?

— Je n’ai plus de vie au Texas.

Elle caressa son visage et déposa un baiser sur ses lèvres. Il était si beau, si noble, si sincère ! Elle ne pourrait jamais plus se séparer de lui. Ils s’endormirent dans les bras l’un de l’autre et ne se réveillèrent que vers midi. Inconscient du fait que sa présence empêchait Chance d’aller à l’école, Galahad la suivit au restaurant pour le déjeuner, avant de se rendre à l’hôpital pour rencontrer le docteur Penny.

Chance le mena jusqu’à son bureau, puis alla ensuite l’attendre à la cafétéria. Galahad passa la tête par la porte entrouverte du bureau. Donald Penny lisait un rapport avec intérêt. Se sentant soudain épié le médecin releva la tête.

— Puis-je vous aider ? demanda-t-il poliment.

— Je suis Christopher Dawson.

— Galahad ? s’exclama-t-il en se relevant.

— Lui-même.

— Mais entrez, je vous en prie.

— Il y a longtemps que je n’ai pas mis les pieds dans le bureau d’un médecin, avoua le chevalier en s’approchant de Donald.

— Vous avez pourtant été blessé récemment, répliqua l’autre.

— Les membres de l’ordre s’occupent les uns des autres. Sire Kay qui dirige l’ordre en l’absence du roi, est chirurgien.

— Je vois. Votre présence à Little Rock signifie-t-elle que vous avez de bonnes nouvelles pour nous ?

— Nous savons où Terra est détenu, mais il a été décidé que je tenterais seul le prochain sauvetage. En fait, sa prison est tellement bien gardée qu’un groupe d’hommes ne pourrait pas passer inaperçu.

— Mais vous ne pouvez pas y aller seul ! protesta Donald. Qu’arrivera-t-il si vous êtes blessé et qui le saura si vous êtes tué ? Laissez-moi y aller avec vous.

— C’est trop risqué, docteur Penny.

— J’ai fait mon entraînement dans les forces armées. De plus, je dois la vie de ma fille à Terra. Je ferais n’importe quoi pour lui rendre la pareille.

Galahad ne ressentait que de bonnes intentions dans cet homme, qui avait été le meilleur ami de son roi en Colombie-Britannique. D’ailleurs, la route serait moins longue s’il avait un peu de compagnie… Il accepta donc l’offre du médecin, mais se promit de ne pas l’exposer inutilement aux griffes du dragon. Il l’informa qu’ils partiraient dès le lendemain matin, car ils devaient rencontrer un informateur en Californie du nord le surlendemain. Donald l’assura qu’il serait prêt et il l’invita à souper le soir même.

Pendant le reste de la journée, Galahad laissa l’adolescente lui faire visiter tout Little Rock à bord du camion qu’il avait acheté à son arrivée au pays. À quinze heures, ils allèrent attendre ses amis à la sortie de l’école. Julie, Karen, Katy et Fred comprirent, en voyant Chance en compagnie de l’étranger, qu’il s’agissait du chevalier dont elle n’avait arrêté de leur parler depuis son retour. Tout souriant, Marco lui donna une curieuse poignée de main.

— Je suis heureux de vous revoir, sire Tristan, déclara le Texan.

— Et moi de constater que votre blessure ne vous empêche plus de voyager, sire Galahad.

— Vous êtes-vous remis de la vôtre, jeune Frank ? demanda le chevalier.

— Ce n’était qu’une égratignure, affirma-t-il avec un peu de rancune.

Galahad connaissait son opinion au sujet de sa relation avec Chance. Il n’insista pas davantage. Cette dernière fit les présentations et les ramena tous à la maison de sa grand-mère, où ils questionnèrent le chevalier sur sa visite à Little Rock et son travail à Houston. Ils apprirent qu’il était astrophysicien, tout comme Terra, mais spécialisé dans la conception de programmes de communication capables de maintenir le contact avec les sondes et les vaisseaux spatiaux. Ils voulurent ensuite savoir pourquoi il avait décidé de devenir chevalier. Galahad répondit patiemment à toutes leurs questions au sujet de l’ordre. Il leur rappelait beaucoup Terra, tant par ses manières que par son ton de voix.

Chance leur demanda de partir un peu avant dix-huit heures, car elle devait se préparer pour le souper chez les Penny. Pour ce faire, elle dut se résigner à aller se changer chez elle. Comme elle l’avait redouté, sa mère exigea de savoir où elle avait passé la nuit.

— J’ai dormi dans la maison de Mamie.

— Avec cet Américain qui a le double de ton âge ?

— Oui. Je l’aime et il m’aime et c’est lui que j’épouserai quand j’aurai terminé l’école.

— Il n’en est pas question.

— Tu ne pourras pas m’en empêcher.

— Il est trop vieux pour toi, Chance.

— Et alors ? Toi, tu as épousé un homme de ton âge et tu n’as même pas été capable de le garder !

Piquée au vif, sa mère la gifla. Chance ne réagit pas. Elle se contenta de fixer sa mère en lui disant que même si elle la battait jusqu’au sang, elle n’en aimerait pas moins Chris Dawson. Puis, elle prit la robe moulante qu’elle avait achetée en prévision de son bal des finissants et s’enferma dans la salle de bain.

Laissé seul dans la maison de la grand-mère de Chance, Galahad entendit du bruit derrière la porte. Un sourire amusé apparut sur son visage, car il avait deviné qui s’y trouvait. Il ouvrit et Russell Skeoh leva sur lui un regard effrayé.

— Tu peux entrer, jeune homme.

— Ma sœur m’a dit qu’elle me tuerait si je mettais le pied ici.

— Elle est absente et je ne te dénoncerai pas.

Il n’en fallait pas plus au garçon pour s’infiltrer dans l’antre secret de Chance. Il s’étonna aussitôt de la décoration. Galahad lui expliqua qu’elle avait seulement reproduit le style du Moyen-Âge. Il lui parla du roi Arthur, qui avait vécu en Angleterre autrefois, entouré de braves chevaliers qui s’employaient à le servir et à protéger son royaume.

— Ma sœur n’a certainement pas besoin d’être protégée, l’informa le gamin. Elle est la personne la plus dangereuse que je connaisse !

— Mais elle est en train de changer, Russell, et toi aussi, d’ailleurs. Tu comprendras, en vieillissant, qu’il est de notre devoir, à nous les chevaliers, d’aimer et de protéger les femmes.

— C’est quoi, au juste, un chevalier ?

— C’est un homme brave, qui a juré fidélité à son roi. Puisqu’il est souvent appelé à le représenter dans le monde, il doit afficher de belles qualités comme l’honneur, le respect, la franchise et la courtoisie. Il ne doit jamais mentir ni aux autres ni à lui-même. Il doit être doux comme un agneau, mais aussi savoir se battre avec la férocité d’un tigre si la situation l’exige.

— Vous êtes capable de manier une épée ?

— Évidemment.

— Pourriez-vous me l’enseigner ?

— Oui, si tu me prouves que tu as commencé à acquérir les qualités d’un chevalier.

Russell lui promit de s’y mettre. Avant de s’en aller, il déclara qu’il l’aimait bien et qu’il était content qu’il soit tombé amoureux de sa sœur.

Galahad profita ensuite de sa solitude pour prier et demander à Dieu de bien le guider dans sa quête. Chance le rejoignit quelques minutes plus tard. En route pour la maison des Penny, il remarqua que sa joue était enflée, mais elle refusa d’en parler. Dès qu’elle vit Galahad entrer chez Donald, Amy Wilder quitta son siège. Elle l’étreignit et le fit asseoir en lui demandant s’il avait des nouvelles de Terra.

— Nous savons où il est et j’ai eu une courte communication télépathique avec lui, répondit le chevalier.

— Il continue donc de se servir de cette nouvelle faculté ?

— Oui, milady, et il est de plus en plus habile. Je lui ai dit que je venais à son secours.

— Est-ce qu’on le maltraite ?

— J’en ai bien peur, murmura tristement Galahad.

— Donald me dit que vous êtes le seul à tenter ce sauvetage. Est-ce vrai ?

— C’est la meilleure façon de délivrer Terra, parce que l’endroit où il se trouve est mieux gardé que la villa de Galveston. La présence d’un trop grand nombre d’hommes serait rapidement remarquée.

Donald présenta alors à son invité sa femme Nicole et leur petite Mélissa qu’elle s’apprêtait à mettre au lit. À la fin de la soirée, les deux hommes bavardaient comme de vieux amis et avaient même commencé à se tutoyer.

 

* *

*

 

Après une dernière nuit dans les bras de Chance Skeoh, Galahad s’arracha courageusement à ses baisers et grimpa dans son camion. Guidé par son impeccable sens de l’orientation, il retrouva la maison de Donald. Le médecin bavardait avec un inconnu, sur le porche de sa demeure. Un sixième sens sonna l’alarme dans l’esprit du chevalier. Comme Galahad hésitait à s’approcher, Donald vint lui présenter l’inspecteur Paul Wilton, également un ami de Terra. Galahad lui serra prudemment la main.

— Donald me dit que vous avez refusé de lui fournir les détails de votre mission, lui reprocha Wilton. Je pense qu’il serait plus prudent pour vous deux que vous me les donniez.

— Le groupe dont je fais partie les connaît, répondit le chevalier. C’est suffisant.

— Mais Paul est policier, l’informa Donald. Nous pouvons lui faire confiance.

— Je suis désolé, je ne peux rien vous dire.

L’astrophysicien et le policier se mesurèrent du regard et ce dernier comprit qu’il n’arriverait pas à tirer de lui un mot de plus. Il leur souhaita bonne chance et monta dans sa voiture. Galahad le suivit des yeux : il ne se détendit que lorsqu’il fut parti.

— Pourquoi te méfies-tu de lui ? voulut savoir Donald en chargeant ses affaires dans le camion.

— Je n’aime pas ses vibrations.

Cette réflexion étonna fort le médecin. Il fixa son jeune ami en attendant le reste de ses explications, mais Galahad n’ajouta rien. Il démarra en essayant de se calmer.

— De quoi as-tu peur ?

— Du sorcier.

— Amy m’a dit que vous appeliez l’armée, le dragon, mais elle ne m’a jamais parlé d’un sorcier.

— C’est un homme à la tête d’un groupe qui tente secrètement de s’emparer de la planète.

— Quoi ?

Galahad fit reculer le camion pour sortir de l’entrée, puis il s’engagea dans la rue, en direction de l’autoroute.

— Des forces invisibles s’affrontent sur la Terre, l’éclaira-t-il. Il y a des guerres dont le commun des mortels n’a même pas conscience.

— Des guerres entre qui ?

— Entre les forces du mal, dirigées par le sorcier, et les forces du bien, dirigées par le magicien. L’ordre dont je fais partie s’est rangé sous la bannière du magicien.

— Et tu penses que l’inspecteur Wilton fait partie de l’autre camp ?

— J’ai ressenti de mauvaises vibrations en lui et je ne peux pas me permettre de les ignorer.

— Terra est-il la cible du sorcier ?

— Le roi est évidemment la principale pièce à abattre.

— Qu’attendez-vous pour lui mettre la main au collet ?

— Nous n’avons jamais vu son visage, mais nous savons qu’il émane de lui une si grande force qu’il est impossible de ne pas ressentir sa présence.

— Et moi qui pensais que Terra était un homme étrange… Lui, il sort tout droit d’un roman de science-fiction. Mais toi, tu vis dans un conte fantastique écrit par Merlin lui-même !

— Les gens qui travaillent dans un milieu strictement scientifique ont besoin de s’échapper de temps en temps. Terra et moi aimions beaucoup jouer à Donjons et Dragons avant de devenir membres de l’ordre.

— J’ai entendu dire que c’est un jeu qui se joue pendant des semaines et des semaines.

— Tout dépend des participants. Je pourrais t’en enseigner les règles à notre retour, si tu veux.

— Ouais… J’aimerais ça devenir bizarre, moi aussi.

Galahad éclata de rire. Jamais il n’avait pensé rencontrer un jour un homme qui n’était pas un chevalier mais qui s’intéressait aux mêmes choses que lui. Tandis qu’ils filaient sur l’autoroute, il expliqua au médecin que son plan était de s’infiltrer en douce aux États-Unis. Donc, pas question d’utiliser de cartes de crédit ni de laisser leurs noms où que ce soit. Ils coucheraient sous la tente dans des endroits déserts et pourvoiraient à leurs propres besoins. Ils avaient un important rendez-vous le lendemain, alors ils ne s’arrêteraient pas avant d’être rendus à Shasta. Ils prirent tour à tour le volant pour que chacun puisse se reposer. « Il est plutôt bien organisé, ce chevalier », pensa Donald.

— Y a-t-il autre chose que je dois savoir ? demanda-t-il, à tout hasard.

— Ce serait une bonne idée que tu apprennes à vider ton esprit, au cas où nous aurions la mauvaise fortune de tomber sur le sorcier ou ses chiens de chasse.

— En quoi cela me serait-il utile ?

— Le sorcier a le pouvoir d’utiliser nos propres pensées contre nous.

— Et comment fait-on pour vider son esprit ?

— Il faut arrêter de penser à ceux que nous aimons et surtout à nos peurs. Il faut créer dans notre esprit un endroit où nous pouvons être seul et en paix. Si tu ne peux pas arriver à le faire, alors je ne pourrai pas t’emmener avec moi à l’intérieur de la base, où nous risquons de le rencontrer.

Donald le fixa avec découragement. Il n’était pas encore certain de croire au sorcier ou au magicien, mais il valait probablement mieux prévenir que guérir. Il commença donc à inventer cet asile de paix.

Tandis qu’ils approchaient du barrage du mont Shasta, Donald, qui était au volant, remarqua que son nouvel ami devenait de plus en plus nerveux. Il voulut savoir si c’était sa rencontre avec le magicien qui le mettait dans un état pareil.

— Non, avoua Galahad, C’est plutôt la possibilité qu’on l’empêche de me rencontrer aujourd’hui.

— Peux-tu retrouver Terra sans lui ?

— Probablement, mais le magicien peut nous épargner beaucoup de temps et nous donner de précieux conseils afin de garder Terra en vie après le sauvetage.

— Tu fais confiance à ce type ?

— C’est notre seul allié.

Il enjoignit Donald de stationner le camion de façon à pouvoir prendre la fuite rapidement. Le sorcier était un être intelligent qui avait peut-être réussi à deviner les plans du magicien : ils ne devaient donc rien laisser au hasard. Donald s’exécuta. Galahad jeta un coup d’œil à sa montre. Il fouilla ensuite dans les bagages et tendit au médecin une pochette de plastique contenant un liquide brunâtre.

— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? s’alarma Donald.

— C’est la nourriture concentrée que les astronautes consomment lorsqu’ils sont en mission. Un ami à moi nous en a fait cadeau.

— J’oubliais que tu travailles pour la NASA.

— Bois aussi lentement que possible, sinon ton estomac va se contracter et tu vas tout vomir.

Donald regarda Galahad déboucher sa propre pochette et l’imita avec prudence. Le chevalier lui expliqua qu’il s’agissait de dinde et de légumes que les ingénieurs avaient préparés pour les astronautes qui devaient passer l’Action de Grâces dans l’espace. Il ajouta qu’un seul sachet contenait toutes les protéines et toutes les calories dont ils avaient besoin pour demeurer alertes et efficaces. Ce repas avait aussi l’avantage de ne pas nécessiter de cuisson, ce qui leur éviterait d’être repérés dans la forêt. Donald avala une gorgée.

— Est-ce que tu fais ça à tous tes amis ? se moqua-t-il.

— Seulement à ceux que j’emmène en mission.

Donald s’esclaffa.

— Pourquoi as-tu décidé de devenir chevalier, Galahad ? demanda-t-il, une fois qu’il se fut calmé.

— Un soir, je suis allé avec Terra à la boutique où nous achetions des cartes de jeu pour nos Donjons. Un chevalier nous a offert d’être adoubés. L’ordre aime bien recruter lui-même ses membres.

— Alors, si je voulais devenir chevalier, je ne le pourrais pas ?

— Disons que tu serais dans une position plus avantageuse que le commun des mortels, puisque tu es un ami du roi. Il pourrait te recommander à la Table Ronde. Mais la décision finale appartient à tous les membres.

— Et ça te plaît, d’être chevalier ?

— Énormément. Je suis orphelin et j’ai grandi dans une multitude de foyers d’accueil. L’ordre m’a finalement donné une solide base familiale. Sire Lancelot agit à titre de père auprès de moi et sire Kay, à titre de grand-père. Tous les autres chevaliers sont mes frères.

— Pas de sœurs ?

— L’ordre ne recrute pas de femmes. Je sais que c’est sexiste, mais je n’y peux rien.

— Alors, Terra est comme un frère pour toi.

— Notre lien est encore plus fort. L’ordre a fait de moi son principal protecteur, alors nous avons passé presque tout notre temps ensemble avant son accident. Il m’a beaucoup manqué pendant sa convalescence.

Galahad vérifia l’heure de nouveau. Le moment de son importante rencontre avec le magicien approchait. Il termina son repas concentré et sortit de ses bagages deux petits systèmes de communication discrets comme ceux des agents secrets. Il en installa un sur la tête de Donald, puis ajusta le sien et sortit du véhicule pour faire un test. Satisfait du résultat, il se dirigea vers le barrage, où quelques touristes observaient les eaux turquoise en provenance des glaciers.

Il vit le sac de papier sur le sol et s’arrêta. C’était le signe utilisé par le magicien pour signaler sa présence. Galahad s’appuya contre la balustrade en essayant d’avoir l’air d’un visiteur. C’est alors qu’un homme dans la trentaine s’approcha de lui.

— Êtes-vous le seigneur Galahad ?

Le chevalier ne reconnut pas l’étranger qui s’adressait à lui. Comment connaissait-il son nom ?

— C’est le magicien qui m’envoie, fit l’homme au regard perçant.

— C’est impossible. Le magicien travaille toujours seul.

Galahad sentit que son interlocuteur appartenait à l’armée. Il commença à reculer, s’attendant à voir surgir des véhicules militaires d’un instant à l’autre.

— J’ai des choses importantes à vous dire.

Galahad tourna les talons en ordonnant à Donald de faire démarrer le camion. Il courut de toutes ses forces et sauta sur le siège du passager tandis que le véhicule était déjà en marche. Donald enfonça l’accélérateur. Son ami chevalier retira son écouteur en regardant derrière eux. Il ne reprit des couleurs que lorsqu’ils se furent suffisamment éloignés.

— Que s’est-il passé ? s’alarma le médecin.

— Cet homme n’était pas le magicien. Il sentait le dragon à plein nez.

— Un militaire ! Mais comment est-ce possible ?

— Je n’en sais rien. Il connaissait mon nom et il connaissait l’heure du rendez-vous. Ça ne peut vouloir dire qu’une chose : le magicien a été capturé.

D’un commun accord, ils décidèrent de trouver un endroit protégé dans les montagnes environnantes pour établir un campement et réviser leurs plans.

Le jeune militaire qui avait tenté d’établir le contact avec Galahad n’était nul autre que Ben Keaton. Lors de l’enlèvement de Terra à Galveston, un étranger était entré dans son poste de contrôle et lui avait déchargé son arme dans la poitrine. Ben Keaton était mort ce soir-là. Les militaires l’avaient transporté à la morgue et avaient communiqué avec sa famille. Cependant, avant que ses proches puissent réclamer son corps, un vieil homme était venu le prendre en secret.

Ben s’était réveillé dans une curieuse grotte, où le vieillard avait soigné ses plaies. Il lui avait expliqué qu’il l’avait arraché à la mort parce qu’il possédait les qualités qu’il recherchait chez un éventuel apprenti. Il lui avait ensuite montré son certificat de décès et les photos de son enterrement. On avait évidemment inhumé un autre cadavre. Keaton comprit qu’il n’existait plus, mais il n’accepta de servir le magicien que lorsqu’il lui expliqua que son rôle serait de protéger Terra Wilder. Ce dernier l’avait guéri d’une maladie mortelle avant qu’il tombe sous les balles de Jeffrey Bains. Alors, il vit là l’occasion rêvée de lui rendre la pareille.

Après la fuite de Galahad, Keaton se rendit au petit restaurant de Shasta où l’attendait le magicien, qui avait réussi à s’infiltrer dans la base Orion II en empruntant l’identité d’un vieux savant allemand du nom de Hans Hendrick.

— Il a rebroussé chemin dès que je l’ai approché, annonça le jeune homme, découragé, en s’asseyant devant le magicien.

— C’est ce que je craignais. Vous devez le retrouver, monsieur Keaton. Il se cache dans la forêt au pied de la montagne, à l’est de la base. Vous devez l’informer de mes plans avant qu’il ne les mette en péril.

— Ne me dites pas qu’il est assez fou pour s’infiltrer dans cette cachette grouillante de militaires ?

— Il n’est pas fou, mais aveuglément loyal. Il fera n’importe quoi pour délivrer son roi, parce qu’il a prêté un serment de protection et parce que ces deux hommes sont très proches.

— J’ai encore beaucoup de mal à comprendre toutes ces histoires de chevalerie.

— L’ordre est une fraternité qui prône une philosophie d’amour, de respect et d’acceptation, mais ce n’est pas le moment d’en discuter. Retrouvez Galahad avant qu’il soit trop tard.

 

* *

*

 

Pendant ce temps, à la base militaire, Terra Wilder avait décidé de collaborer avec l’armée afin de gagner la confiance de ses geôliers. Il voulait aussi justifier l’intervention de l’homme qui se faisait passer pour un savant allemand et qui se préparait à le faire sortir de cette prison. Il ne fallait surtout pas que les militaires le remplacent. Or, si Hendrick arrivait à de bons résultats avec l’intraitable docteur Wilder, on lui donnerait certainement un accès illimité à sa cellule. Cela multiplierait d’autant ses chances d’évasion. Lorsque le savant revint à la base, il trouva les deux ingénieurs de la cabine de surveillance en état de choc devant leurs écrans.

— Ça fait seulement deux heures qu’il travaille sur le simulateur et il a déjà inventé une foule de façons différentes de contenir sa nouvelle énergie ! s’exclama l’un d’eux.

— Il a fait sauter la station spatiale à tous les coups, mais il continue de trouver de nouveaux alliages. On dirait qu’il n’y a aucune limite à ce que son esprit peut créer.

— C’est pour cette raison qu’on dit que c’est un génie, messieurs, s’amusa le docteur Hendrick.

Le docteur se cala dans son fauteuil et constata lui aussi la vitesse avec laquelle Terra Wilder faisait défiler de nouvelles formules sur son écran. « Incroyable… », s’émerveilla-t-il.

À un kilomètre à peine, à l’est de la base, Donald Penny et Galahad avaient installé leur campement à l’abri de gros arbres. Il commençait à faire sombre. Assis sur leurs sacs de couchage, ils regardaient les étoiles qui commençaient à apparaître dans le ciel.

— Crois-tu qu’il puisse y avoir de la vie ailleurs que sur la Terre ? demanda Donald.

— Oui, mais elle a sans doute connu une évolution différente de la nôtre. Je crois que les habitants des autres planètes sont probablement des êtres symétriques à base carbonique, mais je doute fort qu’ils nous ressemblent physiquement. Comme tu le sais peut-être, l’évolution est surtout une série d’accidents. Il est peu probable qu’elle se produise de la même façon dans tous les mondes.

— Dans ta longue carrière d’expert en communication, as-tu découvert des indications laissant croire à l’existence de cousins quelque part là-haut ?

— Je n’ai jamais été impliqué dans les programmes de recherche de vie intelligente dans l’espace, mais j’ai déjà observé d’étranges perturbations dans les communications lors des lancements de navettes spatiales ou lorsque des sondes s’approchaient de leurs cibles. Nous n’avons jamais pu déterminer ce qui les causait, mais nous savions qu’elles n’émanaient pas de la Terre.

— Sais-tu ce qui est fascinant chez toi, Galahad ?

— Beaucoup de choses, j’espère, plaisanta le chevalier.

— Une minute, tu parles comme un savant du vingtième siècle et la minute d’après, tu parles comme un personnage sorti tout droit d’une légende ancienne. Ce n’est pas facile de te suivre, tu sais.

— Je ferai plus attention.

Galahad déroula son sac de couchage sur le sol et Donald l’imita. Ils s’allongèrent tous les deux en continuant de regarder le ciel. Ils n’avaient tout simplement pas sommeil.

— Est-ce que c’est sérieux entre Chance Skeoh et toi ?

— Oui. J’ai la ferme intention de l’épouser quand elle aura terminé l’école.

Galahad s’assit brusquement, faisant sursauter son ami. Avant que Donald puisse lui demander ce qui se passait, le chevalier lui ordonna de demeurer immobile et de ne faire aucun bruit. Aussi silencieusement qu’une ombre, Galahad se fondit dans la nuit. Tous ses sens en alerte, le chevalier repéra la source de l’alarme qui s’était déclenchée dans sa tête : un inconnu s’approchait de leur campement en se dissimulant entre les arbres. Galahad sortit son couteau de chasse de l’étui qui pendait à sa ceinture et surprit l’intrus par-derrière. Il s’élança comme un fauve, lui saisit le bras et le lui tordit dans le dos en posant la lame de son couteau sur sa gorge.

— Un seul geste et tu es mort, le menaça Galahad.

— Je n’ai pas l’intention de bouger.

— Pourquoi es-tu ici ?

— Je cherche un homme qui s’appelle Galahad. J’ai un message pour lui.

— Je suis Galahad. Parle.

— Le magicien se trouve à l’intérieur de la base militaire. Il se prépare à faire évader le roi. Il vous supplie de ne pas tenter de vous y infiltrer, sinon vous ferez échouer ses plans.

— Le magicien ne se sert pas des militaires pour livrer ses messages.

— Si vous me libérez, je vous montrerai quelque chose qui saura vous convaincre de ma sincérité.

— Avance et ne fais aucun geste stupide.

Même s’il ne pouvait pas mourir, Ben Keaton marcha docilement jusqu’au campement, où se trouvait un autre homme, sans doute un autre chevalier.

— Mais qui est-ce ? s’étonna Donald.

— C’est le même militaire qui nous attendait au barrage, répondit Galahad en le faisant brutalement asseoir au pied d’un arbre.

— Je m’appelle Ben Keaton et je ne fais plus partie de l’armée.

— Il sent le dragon à plein nez, maugréa Galahad en lui ramenant les bras derrière le tronc de l’arbre. Donald, donne-moi la corde qui se trouve dans mon sac.

Le médecin s’empressa de la lui apporter. Il était vraiment surprenant, ce chevalier qui lui avait d’abord semblé si tendre, si doux et si émotif ! Il ressemblait maintenant à un commandant de guérilla tandis qu’il liait fermement les mains de Keaton.

— Vous ne pouvez pas vous approcher de cette base, l’implora de nouveau le prisonnier. Les soldats savent que l’ordre va tenter quelque chose. On leur a ordonné de tirer avec l’intention de tuer.

Galahad se rassit sur son sac de couchage et posa sur Keaton un regard rempli de méfiance.

— Je ne suis plus militaire, répéta-t-il. La nuit où l’ordre a tenté de libérer Terra Wilder à Galveston, j’étais l’officier chargé de surveiller la villa sur écran. Je vous ai vus arriver, mais je n’ai pas sonné l’alarme, parce que je voulais moi aussi que Terra Wilder recouvre sa liberté. Mais Bains est entré dans la petite maison où je me trouvais et il a ouvert le feu sur moi. Tout comme les chevaliers de l’ordre, j’aime beaucoup le docteur Wilder. C’est pour cette raison que j’ai accepté d’aider le magicien.

— Le magicien ne travaille jamais avec le dragon, riposta Galahad.

— Cette nuit-là, à Galveston, je suis mort à mon poste de surveillance. Mon nom a été rayé du monde des vivants. C’est le magicien qui m’a ranimé et…

— Je ne te crois pas.

— Il m’avait dit que vous ne seriez pas facile à convaincre. C’est pour cela qu’il m’a aussi donné quelque chose qui vous prouvera que je dis la vérité. Fouillez dans la poche de ma chemise.

Voyant que Galahad n’avait pas l’intention de bouger, Donald décida d’intervenir. Il se pencha sur Keaton et retira du vêtement un petit objet rond, qu’il éclaira avec sa lampe de poche.

— C’est un médaillon avec un curieux personnage dessus, l’informa Donald, intrigué.

Galahad le lui arracha des mains pour l’examiner lui-même. Il leva un regard furieux sur son prisonnier.

— Cet objet lui appartient ! tonna-t-il. Que lui avez-vous fait ?

— Rien du tout ! vociféra Keaton, exaspéré. Il me l’a remis en me disant que vous le reconnaîtriez !

— Je vais aller voir s’il a des complices, signala Galahad en empoignant la carabine qu’il avait déposée près de son sac de couchage.

— Je suis venu seul !

Le chevalier disparut entre les arbres sans que Donald puisse le retenir. Ce dernier avisa alors le visage découragé du prisonnier, éclairé par les rayons argentés de la lune. Il n’avait pourtant pas l’air menaçant.

— Je dis la vérité, insista Keaton. Je ne fais plus partie de l’armée. En fait, je ne fais même plus partie de ce monde. Le magicien m’a montré mon certificat de décès en me disant que mon corps avait été remplacé par celui d’un autre homme dans le cercueil qu’on a enterré au cimetière de ma famille en Arizona.

— Et il t’aurait ramené à la vie ? osa demander Donald, pourtant incrédule.

— Il prétend qu’il me surveillait depuis longtemps. Mais lorsque je me suis réveillé dans sa grotte, c’était la première fois que je le voyais. Selon lui, en me guérissant, Terra Wilder m’a transmis une partie de sa force vitale. Cela m’aurait en quelque sorte placé sur le grand jeu qu’il joue contre le sorcier. Il m’a aussi dit que Terra était le roi, la pièce la plus importante, et que nous devions tous le protéger.

— Ils jouent aux échecs ? s’étonna Donald.

— J’ignore le nom de leur jeu. Je sais seulement que les chevaliers et les chiens de chasse du sorcier sont quelques-unes des pièces. Je n’en connais pas encore les règles. Le magicien n’a pas réussi à placer ses pions à l’intérieur de la base souterraine, alors il s’y est infiltré lui-même, malgré tous les risques que cela comporte pour lui. Les militaires pensent qu’il est un spécialiste en propulsion. Il a accès au docteur Wilder et il peut circuler librement dans l’installation, alors il projette de le faire évader. Il a appris que Galahad avait résolu de se rendre en Californie pour tenter lui aussi un sauvetage. C’est pour cette raison qu’il m’a demandé de le retrouver et de l’arrêter. Je dois l’empêcher de se faire tuer et de faire échouer en même temps les plans du magicien.

… « Qui croire ? » hésita Donald, découragé. Il ne connaissait pas suffisamment l’ordre et ses alliés pour démêler toute cette histoire lui-même. Lorsque Galahad revint au campement, il voulut en parler avec lui, mais le chevalier se coucha sans plus s’occuper de son prisonnier.

En devenant médecin, Donald Penny avait fait le serment de préserver la vie et la santé, alors il alla couvrir Keaton d’une couverture pour qu’il ne prenne pas froid durant la nuit. Puis il s’allongea à son tour, préoccupé. Terra aurait-il agi de la même manière que son ami chevalier dans les mêmes circonstances ?

Il fut réveillé le lendemain par les cris de Keaton qui se débattait au pied de l’arbre. Donald sortit de son sac de couchage et se précipita sur lui en pensant qu’il était souffrant.

— Il faut l’arrêter ! cria-t-il, effrayé. J’ai promis au magicien qu’il ne lui arriverait rien ! Il ne se rendra même pas jusqu’aux conduits de ventilation, parce que les militaires y ont posté des hommes !

— Mais je ne sais même pas où ils sont situés ! s’énerva Donald.

— Moi, je le sais ! Détachez-moi !

— Est-ce que je peux vous faire confiance ?

— Vous n’avez pas le choix ! Si vous ne me détachez pas, vous serez responsable de la mort de votre copain chevalier !

Donald ne voulait certes pas que Galahad connaisse une fin tragique. Il libéra Keaton et s’élança à sa suite. Ils coururent pendant un long moment, puis Keaton s’écrasa à l’abri de gros rochers, entraînant Donald sur le sol avec lui. Il montra au médecin les canons de fusils qu’on apercevait au-dessus d’un monticule. Keaton scruta la forêt. Il aperçut finalement Galahad plus haut sur la colline, presque entièrement dissimulé derrière d’autres rochers. Il attendit que les soldats se soient éloignés, recommanda à Donald de ne pas bouger et grimpa entre les arbres pour aller surprendre le chevalier.

Galahad n’avait pas seulement l’agilité d’un chat, il en avait également l’ouïe fine. Bien que Keaton fît attention de ne pas faire de bruit en s’approchant de lui par-derrière, lorsqu’il ne fut plus qu’à quelques pas, le chevalier se retourna vivement, pointant sur lui sa carabine.

— Si vous tirez, l’armée sera sur nous comme une volée de vautours, l’avertit Keaton à voix basse. Je suis le messager du magicien et tout comme vous, il veut délivrer le roi. Je suis de votre côté, Galahad. Je vous en prie, croyez-moi.

Le regard habituellement velouté du chevalier était devenu dur et méfiant. Il ne perdait de vue aucun des mouvements de Keaton, pas même ses battements de paupières.

— Venez avec moi, insista Keaton. Je vais vous conduire à la cabane abandonnée où le magicien veut que j’emmène Terra Wilder une fois qu’il l’aura fait sortir de la base.

— D’où provient la puissance du magicien ? le questionna Galahad.

— De Dieu, répondit Keaton en cachant son agacement. Il la conserve dans sa canne magique qu’il appelle familièrement la Patte du lion. Il a choisi de ne communiquer qu’avec un seul chevalier de votre ordre, celui qui porte une marque en forme d’étoile dans le bas du dos, mais il lui est arrivé de parler à sire Gawain.

Cette révélation ébranla Galahad, car personne ne connaissait cette information, à part Terra et le magicien. Keaton entendit revenir les soldats et fit signe à Galahad de le suivre. Convaincu cette fois que l’homme disait la vérité, le chevalier lui obéit. Ils rejoignirent Donald, toujours accroupi derrière les rochers plus bas dans la montagne, et l’incitèrent à se replier avec eux en silence. Ils retournèrent prestement à leur campement.

— Pourquoi t’a-t-il parlé de l’étoile ? voulut savoir Galahad, plus intrigué que fâché.

— Pendant que j’étais dans la caverne avec lui, il m’a raconté toutes sortes de choses. Il m’a aussi montré ses livres, ses cristaux, ses talismans. Il m’a parlé de vous et de Terra Wilder et il m’a demandé de l’aider à le délivrer du dragon. Je ne pouvais pas refuser, puisqu’il m’a sauvé la vie.

— Tu as accepté en posant la main sur une pierre bleue ?

— Oui, pourquoi ?

— Tu n’as pas accepté de l’aider, Keaton, l’informa Galahad, tu as accepté de devenir son apprenti. Et arrête de me vouvoyer, c’est moi qui te dois le respect.

— D’accord, acquiesça Keaton. Mais il ne m’a jamais demandé de devenir son apprenti.

— Est-ce que vous pourriez m’expliquer de quoi vous parlez ? soupira Donald.

— Keaton n’est pas le messager du magicien, l’informa Galahad en ramassant ses affaires. Il est son futur remplaçant. Le magicien se fait vieux et il remettra bientôt le flambeau à un autre homme qui, comme lui, n’existe pas.

Donald regarda l’étranger d’un air surpris. Décidément, cette affaire se compliquait de minute en minute.

— Je suis Ben Keaton, déclara le jeune homme en lui tendant la main.

— Et moi, le docteur Donald Penny, fit-il en la serrant. Je ne fais pas partie de l’ordre, mais je suis un ami de Terra Wilder. Et vous connaissez déjà Galahad.

— Le chevalier parfait, dit Keaton en souriant au souvenir de la férocité avec laquelle il l’avait accueilli. L’ordre ne pouvait pas choisir un meilleur homme pour porter ce nom.

Galahad resta muet face à ces compliments de la part de l’homme qu’il avait maltraité la veille.

— Quelles sont les intentions du magicien ? s’informât-il en portant ses bagages dans le camion.

— Il fera sortir Terra Wilder de la base et le conduira à une petite cabane de l’autre côté de la montagne. Il veut ensuite que je le ramène au Canada à cheval, en demeurant éloigné des routes et des villes. Il m’a fourni tout ce dont j’aurai besoin pour le trajet, y compris des cartes détaillées de la région.

Ils acceptèrent de l’accompagner jusqu’à la cabane où Keaton avait caché deux chevaux. Ce dernier demanda à Galahad de s’en occuper pendant qu’il irait en acheter deux autres. En réalité, il avait surtout besoin de revoir le magicien et de mettre sa situation au clair avec lui. Il se rendit donc à Shasta, où il trouva le vieil homme à sa table habituelle. Il s’assit devant lui et confirma qu’il avait réussi à intercepter Galahad et à l’emmener, ainsi qu’un autre ami de Terra, au lieu de ralliement.

— Galahad est convaincu que vous avez décidé de faire de moi votre apprenti, s’énerva Keaton.

— Il est décidément très brillant, ce chevalier, remarqua le magicien en jouant distraitement avec ses légumes dans son assiette.

— Vous voulez dire qu’il a raison ?

— Puisque vous n’existez plus et que vous ne pouvez plus mourir, j’ai en effet pensé que ce serait une bonne chose que vous preniez un jour ma place dans le jeu.

— Moi ? s’ébahit Keaton.

— En vous ressuscitant dans ce corps, je l’ai rendu immortel. Maintenant, il ne vous reste qu’à apprendre les incantations et les rituels, mais cet entraînement devra attendre que Terra Wilder soit libre.

— Et que fait un magicien, au juste ?

— Il combat le mal sous toutes ses formes et il garde un œil protecteur sur les membres de l’ordre. Par les temps qui courent, c’est un travail plutôt épuisant. Les chevaliers se sont choisi un roi qui est également un génie scientifique. Ses recherches ont rapidement attiré l’attention du dragon. Il ne faut jamais perdre le roi de vue et il faut le sortir de tous les pièges que lui tend le sorcier. Il faut aussi bien connaître ses pièces sur le jeu. Pour le magicien, il s’agit des chevaliers, évidemment.

— Vous parlez la même langue que moi, mais je ne comprends rien de ce que vous dites.

— Ce n’est pas le moment de vous expliquer vos nouvelles fonctions, jeune homme. Allez plutôt acheter vos chevaux avant qu’il fasse nuit. Notre prochain rendez-vous devrait avoir lieu à la cabane, à moins que je ne vous fasse signe avant.

Keaton hocha docilement la tête, un peu distrait. Il essayait de comprendre ce que le vieil homme voulait dire par « immortel ».

Qui est Terra Wilder ?
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